Sorti en 2019
Ce matin Béatrice s’est éveillée en sueur, l’air hagard. Il est des matins comme celui-ci où ses nuits se terminent dans une douleur aigüe. Je dors sur l’oreiller à côté d’elle, elle tend le bras vers mon oreille, les yeux baignés de larmes.
- Ce foutu rêve est revenu, ma Lola.
Elle tourne lentement sur le dos, le regard au plafond, la tête ailleurs. Un instant silencieuse, elle commence à raconter
- C’est un rêve peint en rouge, couleur qui coule le long des barreaux comme le sang sur mes jambes. Une femme gît, elle flotte sur le dos au milieu de la pièce, absente comme si la vie s’était retirée. Au pied de l’escalier un chien s’acharne sur une bête morte, déchiquetant la chair, prolongeant la curée, l’instinct déformé par l’empreinte de l’homme. J’ai mal dans ma tête, dans ma chair, je suis comme une feuille de papier déchirée, ma plainte ressemble à la sienne. Je voudrais fuir ce rêve récurent, mais il coule en moi, à flots continus, sans jamais tarir. La pièce s’est emplie d’eau jusqu’à la troisième marche, le chien a disparu, mais sa plainte gravée dans ma tête, ressemble tant à la mienne. Je suis recroquevillée dans le fauteuil, paralysée par la peur. Le liquide qui m’arrive à la taille a lavé le sang sur mes jambes, la femme flotte inerte portée par la montée des eaux. Puis l’eau se retire, la pièce disparait, le ciel est en feu, sa chaleur m’envahit, le rouge devient colère, je suis colère. Un miroir posé contre l’arbre mort me renvoie un visage inconnu, miroir abominable, regard noir, bouche grande ouverte en une plainte muette qui lentement s’emplit de gros mots que jamais je n’ai dits, je les vomis à plein jet, encore et encore. Puis le rêve recule, obsédant, cruel, destructeur, qui me laisse épuisée, sans force.
Béatrice ferme les yeux quelques minutes, respire profondément, sèche ses larmes et s’assied sur le lit d’un mouvement brusque.
-Viens, ma Lola, nous avons mérité un café.